Beaucoup plus bas dans les Catacombes...

Cette nuit était particulièrement noire, les lampadaires éclairaient fébrilement les rues, se cerclant d’un faible halo de lumière jaunâtre.
Sid marchait, paisiblement dans la rue déserte, quelques voitures étaient garées sur chacun des trottoirs.
Il faisait froid et Sid resserra son écharpe atour de son cou pour se protéger du vent qui commençait à doucement se lever dans les rues de la capitale.
Cette nuit n’était pas comme les autres, le ciel pollué de Paris empêchait de pouvoir observer la voûte céleste et ses milliers d’étoiles.

Continuant son chemin, passant près de ruelles abandonnées, Sid sortit de sa sacoche un paquet de Lucky Strike -volées quelques minutes plus tôt à un passant- ainsi qu’un briquet. Il alluma l’un des bâtonnets de tabac séché qu’il porta à sa bouche.
Et tandis qu’il fumait sa cigarette, Sid sortit de sa sacoche le Livre D’Isaïe, qu’il commença à lire.

Il lisait, lisait, Sid ne voyait pas le temps passer lorsqu’il lisait les textes sacrés, ses pas le conduisirent bien loin de son point de départ.
La seule chose dont il avait conscience, c’est que la nuit semblait déjà bien entamée et qu’il en était à fumer sa troisième cigarette.
Soudainement, Sid décida de s’arrêter un instant et faire une pause.
Il s’assît sur un banc et jeta ce qui restait de sa troisième cigarette.
Alors qu’il allait en allumer une quatrième, il prit conscience qu’il était arrivé à l’entrée des Catacombes de Paris, un lieu qu’il n’avait visité qu’une fois, alors qu’il était jeune.
Il put deviner, faiblement éclairée par la lueur sélénite, une silhouette féminine adossée au mur de crânes qui constituait l’entrée des Catacombes.
Il sortit ses lunettes noires de sa sacoche, réajusta son chapeau, se leva et sortit son briquet pour allumer la dernière cigarette du paquet. Et, lisant son livre, il déclara pour lui-même :
-Isaïe 19.9 : « Oui, il arrive implacable, le jour du Seigneur, jour d'emportement et de violente colère, qui réduira la terre en solitude et en exterminera les criminels. »

Sid commença à s’approcher lentement de la jeune femme.
Sa longue chevelure rousse mettait en valeur une peau d’un blanc pâle rayonnant sous la Lune. Ses formes étaient désirables et ses vêtements déchirés ça et là laissaient entrevoir une peau pure et parfaite.
Sid était séduit, avant il l’aurait probablement agressée puis violée, mais plus maintenant.
Sid est envoyé par Dieu et ne doit pas succomber à la tentation.
Il referma son livre et le remit dans sa sacoche, mais alors qu’il accélérait le pas, Sid s’arrêta brusquement. Son cœur battait plus vite, une goutte de sueur perla à sa paupière, une autre parcourut son dos, lui donnant la chair de poule. Cette femme n’était pas comme les autres, une véritable aura démoniaque émanait d’elle, elle était imposante, elle incitait la crainte, cela arrivait rarement, mais Sid avait peur.

Il continua de s’approcher, de moins en moins sûr de lui, mais la tentation était trop forte.
Ses yeux d’un noir profond croisèrent les siens, il fronça les sourcils et ferma ses yeux. Lorsqu’il les rouvrait elle était toujours là, à le regarder, un sourire narquois aux lèvres, le regard illuminé par la lueur de l’astre lunaire, elle rit, un rire démoniaque, malsain, un rire qui représentait tout ce que Sid haïssait.

Tout ce qui était contraire à ses croyances. Cette femme était un démon.

Derrière ses lunettes, les yeux de Sid s’emplirent d’une colère incroyable, dans un élan de foi incontrôlé, il accéléra le pas, il prit l’un des pendentifs qui pendait autour de son cou, s’approcha de la mystérieuse femme. Ce pendentif était en or, orné de rubis, il avait la forme parfaite d’une croix et avait dû être taillé par un grand orfèvre, Sid l’avait volé à une exposition, estimant qu’en tant qu’envoyé de Dieu ce pendentif lui revenait de droit.

Ce pendentif portait le nom d’Asmodée, un nom qui ne devait pas être inconnu de la personne en face de lui. Sid le brandit et déclara d’un ton solennel :

-Asmodée, N°4, péché de Luxure.

Sid n’en croyait pas ses yeux.
Asmodée avait disparu, devant ses yeux, dans une lueur rougeâtre. Il sentit la colère s’emparer lentement de lui, cette femme était réellement un démon, les yeux de Sid brillaient d’une rage grandissante, il se mordait la lèvre pour retenir un cri. Son sang coula le long de son menton, puis de son cou… La Colère était un péché, il serra dans sa main l’un de ses pendentifs et murmurait en lui-même « Bélial, N°6, péché de Colère. ».
Colère, un mot qui faisait frémir de plaisir Sid, la colère, si envoûtante, désirable, si attrayante, à ses yeux la colère était encore plus tentante que cette diablesse qui se trouvait en face de lui.
Sid se contrôlait tant bien que mal, il serrait si fort la croix en bois dans sa main que celle-ci commençait à se parsemer de gouttes de sang.
Bélial était en bois brut et simple, taillée peu finement mais assez volumineuse et lourde pour assommer un homme si on l’utilisait avec assez de force. L’un de ses coins était d’ailleurs encore tâché d’une récente altercation entre Sid et un autre SDF.

Tous les muscles du corps de Sid se contractaient, la colère montait de plus en plus, on pouvait commencer à discerner les veines de Sid en relief sur son visage et ses bras, de plus en plus de sang coulait de sa lèvre et de sa main.

Sid sentait qu’il ne pourrait plus se contrôler bien longtemps, la tentation de frapper cette femme, de lui tirer dessus, de lui donner des coups de poings, de pieds, de tête, de coudes, de genoux, la tentation de l’étrangler, de l’égorger, de saisir son crâne et de le frapper violemment contre le sol, de la voir se vider de son sang grandissaient.
Sid ferma les yeux quelques instants, se confessant à lui-même et acceptant de se pardonner d’avance pour sa future colère.


Il ouvra les yeux, lâcha Bélial, enleva ses lunettes qu’il remit dans sa sacoche. Ses yeux étaient injectés de sang et fusillaient la femme du regard. Le blanc de ses yeux devenait rouge et le vert de l’iris virait au marron, ses veines étaient de plus en plus marquées. Il aurait inspiré la peur à bien des hommes courageux, mais la diablesse restait impassible, son sourire méprisant plus présent que jamais.

Sid arrêta de mordre sa lèvre, la coupure était épaisse et du sang coulait abondamment, puis il cria, il cria plus fort que n’importe quel homme. Colère laissa la place à Rage, et le démon Bélial se retira, vaincu par la haine de Sid, la croix tomba, couverte du sang de la colère.

Sid n’était plus conscient, ses muscles se contractèrent tellement qu’ont eut cru qu’ils exploseraient sous le choc. Sid n’étais plus Sid, Sid était Haine, Rage, Force et Colère.

Sid regarda la jeune femme dans les yeux, déversant toute sa colère dans son regard.
Elle avait encore ce sourire prétentieux sur ses lèvres.
Qui était-elle ?

Sid était abasourdi.
D’un geste elle venait de faire fondre et brûler chacune des croix qu’il portait autour du cou.
La Paresse, l’Orgueil, la Gourmandise, la Luxure, l’Avarice, la Colère, l’Envie.
Belphégor, Lucifer, Belzébuth, Asmodée, Mammon, Bélial, Léviathan.
Tous avaient disparu dans un enfer de flammes et se consumaient sous les yeux étonnés de Sid.

A peine remis de ce choc, Sid, remarqua que la femme l’embrassait… Embrassait ? Non, elle suçait le sang sortant de sa plaie à la lèvre.
Il eut une sensation douce, agréable, cela lui rappela son adolescence, ces drogues qu’il prenait lui faisaient le même effet.
Cette femme était-elle une drogue ?
La colère décroissait, Sid se calmait, son cœur battait plus lentement, il était de plus en plus calme. Comme un rail de cocaïne, une injection d’héroïne, ce baiser mortel le faisait s’envoler.
Péché ? Religion ? Dieu ? Tout cela commençait à devenir de lointains souvenirs pour lui, il ferma les yeux pour savourer ce moment de plaisir intense.

Tous les noms, Isaïe, Ezéchiel, Jérémie, Daniel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie, commençaient à disparaître.

Tout disparaissait, il devenait de moins en moins conscient, une soudaine torpeur s’abattait sur lui. Allait-il mourir ? Vivre ? Ni l’un ni l’autre ? Il n’en savait rien, mais cette femme était de toute évidence bien plus forte que lui.

Toutes les lettres des livres s’envolaient, brûlaient, consumées par les flammes infernales.
Toutes avaient disparu, Sid s’endormait, lentement… Lentement…

Puis par le plus grand des hasards, sa main effleura l’un des livres de sa sacoche.
Quatre lettres apparurent :
YHWH
Comme la dernière fois qu’il avait pris une drogue, le Seigneur lui apparut et lui parla en ces termes :
-Alors Sid, n’es-tu pas le plus pieux de mes prophètes ?
-Seigneur, cette femme est trop forte, je ne peux pas lutter…
-On peut toujours lutter pour sa religion Sid. Tu fais ici preuve de ces péchés que tu abhorres tant.
-Lesquels Seigneur ? Comment lutter ? Les livres des prophètes ne m’ont rien enseigné sur l’art de vaincre un démon.
-Tu provoques Belphégor et Asmodée, Paresse et Luxure. La religion n’est pas un jeu Sid, on ne perd jamais, pas même si l’on meurt, car on l’a fait pour son Dieu, pour ses croyances. Une personne de foi véritable n’abandonnerait pas.
-Ma foi est véritable !
-Alors montre-lui Sid, montre à cette femme la colère divine !

Sid sortit de son sommeil et ouvrit les yeux, la diablesse suçait encore son sang, des yeux emplis de gourmandise.
Il la repoussa violemment puis, le visage livide, prononça ces quelques mots :

-N°3, Belzébuth, la Gourmandise. Qui es-tu pour commettre tant de péchés ? Serais-tu le Diable lui-même ?

La personne en face de lui paraissait irritée… Plus encore que ça… Ses yeux normalement noirs semblaient s’illuminer de flammes, son rictus s’était transformé en grimace de colère.

Sid voulut hurler de douleur lorsqu’elle lui traça le signe impie sur le torse, mais se retint.

La haine était plus forte que la douleur. Elle avait brûlé les livres saints, elle devait payer, mais… Comment ? Comment faire payer le Diable ? Comment faire souffrir le Diable ? Comment tuer le Diable ? C’est impossible.
Et ce signe que Sid porterait en lui tout le temps, toute sa vie, toujours. Ce signe hérétique tracé par les flammes des enfers.
Il était humilié, humilié par cette femme impie, par le Diable. Lui, un rédempteur, un paladin, lui qui avait tant servi Dieu. Etait-ce là le sort qui lui était réservé ?
Les lettres disparurent à nouveau, Sid était seul.
Il ferma les yeux et appela :
« Seigneur ? »
Plusieurs fois, mais nul ne répondit.
Il ouvra les yeux, laissa couler une larme, la pression sur son cou augmentait, il referma les yeux, ne résista plus, il voulait partir pour le profond sommeil, mourir.

« Hé, mais t’es complètement con ou quoi ? »

Sid sursauta.

« Peuh, imbécile, faut pas avoir peur, je suis ta conscience gnah gnah gnah, enfin tu vois le truc quoi je suppose…
-Ma conscience ?
-Ouais ta conscience.
-Je n’ai plus de conscience, ma conscience était en Dieu et les textes divins, laisse moi mour…
-Pfuit ! Nan mais tu t’entends ? J’t’interdis de débiter des conneries pareilles… Dieu, n’importe quoi, il a fait quoi pour toi Dieu ? RIEN ! T’as jamais fait qu’utiliser ce prétexte pour faire toutes tes conneries, même si t’as jamais voulu t’l’avouer, tu vas pas te tuer pour quelques tâches d’encre sur un bout de papier, si ? Tu veux que j’te dise Sid ? T’es une fiotte ! La pire de toutes les fiottes de la Terre, obligée de servir Dieu pour vivre, haha, elle est bien bonne ! J’me souviens d’une époque où t’étais pas si asservi que ça Sid, j’me souviens d’un certain Mardi 15 Février, tu te souviens pas toi ? Un Mardi 15 Février où t’as déclaré « Plus jamais j’me laisserai faire ! » un Mardi où pour une fois, t’as décidé d’aller dans le camp du plus fort et montrer aux autres ce que tu valais vraiment. Tu me fais peine Sid.
-Mais qu’est-ce que je peux faire hein ? Tu peux m’le dire ?
-Rejoindre le camp du plus fort, Sid…
-Pardon ?
-Faut bien l’avouer, ton « Dieu » ne vaut rien face au Diable, rejoins-la elle… Du moins jusqu’à ce que tu trouves quelqu’un de plus fort encore… »

Sid ne savait quoi faire, il réfléchit seul, quelques minutes, puis le manque d’air se fit sentir de plus en plus.
Il ouvra les yeux, elle prenait un malin plaisir à le voir agoniser mais paraissait surprise qu’il n’ait pas encore étouffé.
Puisant dans les dernières forces qui lui restaient, Sid contracta violemment les muscles de son cou, repoussant la force qui obstruait ses voies respiratoires.
Il regarda la diablesse d’un air déterminé.